Business des autres

Interview de Caroline et Jean-Philippe Wincker

Par Guillaume Mollaret. Photographies : Bleu Libellule

"On est plus rentable, avec un personnel plus autonome"

Bleu Libellule en bref

Créée en 1997, Bleu Libellule a été fondée avec un capital de départ de 22 000 euros. Des coiffeurs, tels que Jean Vallon, étaient présents au démarrage. Aujourd’hui, l’entreprise développe 149 millions d’euros de chiffre d’affaires et emploie 950 personnes. Son réseau de magasins compte 220 points de vente dont 64 franchises. Membres du groupe Provalliance (Franck Provost, Jean-Louis David...), Caroline et Jean-Philippe Wincker sont, en plus de dirigeants de leurs sociétés, directeurs généraux distribution et logistique du groupe dont ils sont désormais actionnaires.


Distributeur de produits pour les soins du cheveu, l’entreprise basée à Gallargues-le-Montueux se distingue par son management. Elle fait aujourd’hui partie des rares PME françaises présentes au sein du classement Great Place to Work, qui distingue les entreprises engagées où il fait bon travailler. Rencontre.

Engagés : Comment s’est initiée votre révolution managériale pour une « entreprise responsabilisante » ?

Caroline Wincker : Nous voulions tout simplement que les collaborateurs de l’entreprise, à tous les niveaux, soient plus concernés par notre business. Nous avons pris ce virage dès 2016. La mise en œuvre a pris deux ans. De façon très pragmatique, nous voulions également gagner en efficacité en magasin. Pour cela, il fallait être dans une démarche beaucoup plus collaborative, avec moins de hiérarchie, mais aussi remplacer le contrôle par l’autocontrôle.

Jean-Philippe Wincker : C’est un acte managérial mais aussi financier car le but est d’avoir de meilleurs résultats avec des gens plus concernés, mieux payés, et un management plus à l’écoute de leurs besoins. Nous voulions une entreprise plus profitable avec une grande qualité de vie au travail.

Comment vous y êtes-vous pris ?

C.W. : Premièrement, nous n’avons supprimé aucun poste, ce qui se produit généralement dans les entreprises qui adoptent cette orientation. Nous avons cependant enregistré des départs, car cela bouscule l’ordre établi. Certains ont eu du mal à l’accepter.

J.-P. W. : Philosophiquement, on a inversé certains rôles. En tant que présidents, nous sommes au service de nos collaborateurs. On est dans l’accompagnement. Les uns au service des autres. Cela donne une quête de sens.

Comment associer la quête de sens à un produit aussi banal que le shampoing ?

C. W. : Nous vendons les mêmes produits de qualité, respectueux pour le cuir chevelu, aux professionnels, aux particuliers, et aux étudiants. Cependant, tous bénéficient d’un tarif différencié dans notre espace de vente, et d’un conseil adapté. En réunissant, qualité du produit, conseil et prix à chaque client, on se sent utile.

Comment se traduit l’accompagnement de carrière des salariés chez Bleu Libellule ?

J.-P. W. : Quand un salarié se sent bien dans l’entreprise, les résultats s’en ressentent. Il faut donc pouvoir proposer des parcours d’évolution.

C.W. : Notre première salariée à la vente, Géraldine Barbeyrac, est aussi notre première franchisée. Elle est aujourd’hui entrepreneur et développe 7 magasins Bleu Libellule. D’autres salariés ont suivi son exemple. Nous trouvons cela assez formidable.

Pourquoi faire le choix d’être audité, et donc de payer, pour faire évaluer sa politique RH par Great Place to Work, un organisme reconnu sur le plan mondial ?

J.-P. W. : Il faut déjà préciser que payer l’audit ne signifie pas figurer au classement. Il y a 6 ans, nous avions demandé cet audit pour mieux nous connaître et établir un plan d’amélioration. Les questionnaires étant anonymes, les collaborateurs parlent sans filtre. Nous avons ensuite réitéré l’expérience en 2019 et 2020, où nous avons été classés.

C. W. : Cette année, nous pensions qu'il serait difficile d'y figurer car la crise sanitaire a complètement revisité le rapport au travail et au télétravail. Certains collaborateurs qui en étaient militants ne veulent plus en entendre parler alors que pour d’autres c’est l’inverse. Les mesures sanitaires sont en mouvement permanent. Ça ne facilite pas forcément les choses.

Quel est l’impact d’un tel classement ?

C.W. et J.-P. : Nous mettons en place des correctifs ! Quelqu’un qui travaille mieux dans l’entreprise est plus efficace. On a des magasins plus rentables, avec un personnel plus concerné, et plus autonomes. Great Place to Work attire des talents vers nous alors qu’ils ne connaissaient pas l’entreprise auparavant.

Quels “correctifs” avez-vous instauré ?

C. W. : 87% de nos salariés sont des femmes. Nous avons donc mis en place avec « Les petits chaperons rouges » un partenariat pour obtenir des berceaux prioritaires en crèche à tarif négocié, auxquels l’entreprise contribue ; et une aide périscolaire pour des situations d’urgence. Nous avons aussi travaillé sur des grilles d’égalité salariale. Par ailleurs, les stagiaires se voient confier des missions stratégiques. Par exemple, sur un projet e-commerce, nous avons, en confiance, suivi les recommandations de l’un d’eux.

J.-P. W. : Depuis 2020, nous intégrons également un apprenti par magasin. C’est désormais dans notre ADN. D’autant que notre DRH, comme notre responsable catalogue, sont entrées dans l’entreprise par ce biais. Sur le plan éthique, nous invitons également chaque salarié, et cela nous concerne aussi, à se poser la question de savoir si la décision qu’il va prendre peut, ou non, être communiquée à l’ensemble de ses collègues.

L’entreprise responsabilisante, quèsaco ?

Pour les Wincker une entreprise responsabilisante se doit de mettre en place : une charte éthique signée par chaque salarié ; l’établissement du planning par les équipes elles-mêmes ; une information économique et stratégique partagée ; et le droit à l’erreur car « elle permet d’apprendre. »Des principes « mis au service de la profitabilité de l’entreprise. »