Je suis handicapé, et alors ?

Par Guillaume Mollaret

Fabrice Ribourg, président de Royal Canin France

Entré en 2003 au sein de la célèbre entreprise d'alimentation animale dont le siège se trouve à Aimargues, le dirigeant est à la tête d'une équipe de 400 salariés sur les 8 000 que compte l'entreprise dans le monde. Pour Engagés, il brise le tabou du handicap.Rencontre.

Engagés : Vous souffrez depuis de nombreuses années d’un handicap invisible. Pourquoi accepter d’en parler aujourd’hui publiquement ?

Fabrice Ribourg : Pour que la question du handicap n’en soit plus une ! Le jour où le handicap au travail ne sera plus un sujet, on aura gagné. J'ai mis presque quatre ans à accepter d’être malade (Fabrice Ribourg souffre de la maladie de Crohn, ndlr). Le plus dur est de se dire qu’on ne reviendra jamais à la situation d’avant. Mais on peut vivre une vie en étant handicapé ! Dédramatiser sa situation peut permettre d’éviter un sentiment de décalage dans une société où la normalité est mise en avant. 

Quelles sont les conséquences de ce “décalage” ?

Dans le cadre du travail, en tant que personne en situation de handicap on peut s’imaginer un plafond de verre... et avoir peur de prendre des responsabilités. J’ai eu chez Mars (propriétaire de Royal Canin, ndlr) un manager incroyable qui m’a permis de gravir les échelons. Grâce à ce lui, je ne me suis plus senti coupable de m'absenter pour ma santé. J’avais le bon niveau de support mais quand je revenais, ma place avait été gardée au chaud et je ne me sentais pas remplacé. Il y a encore trop peu de lieux de travail où on peut trouver cette bienveillance. Aujourd’hui, je me sers de ma position pour montrer qu’il n’y pas de plafond de verre !

Quand avez-vous déclaré votre situation de travailleur handicapé à votre employeur ? 

Je suis un cas particulier. Je suis Suisse et dans ce pays, il n’y a pas de reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH). La France est beaucoup plus avancée sur ces sujets-là. Le système est incroyablement étoffé pour les personnes malades. On peut bénéficier d’assistantes sociales, ce qui n’est pas le cas partout. C’est pourquoi une fois arrivé à Aimargues, j’ai immédiatement fait une demande de reconnaissance afin de montrer l’exemple et permettre l’instauration d’un dialogue en interne. Le message aux équipes est le suivant : “Allez-y, je l’ai fait !” Il faut démythifier certaines choses. Une RQTH n'est pas un tatouage. Elle permet de montrer cette situation de handicap, même si c’est un handicap invisible, et qu’elle peut être remise en cause. 

Faut-il rendre obligatoires les démarches de RQTH ? 

Obliger quelqu’un d’handicapé à se reconnaître comme tel, c’est obliger quelqu’un de non-normé à signaler une différence. Tout le monde n’est pas dans la même phase de reconnaissance de sa maladie et de son handicap. Personnellement, j'encourage à déclarer cette situation mais ce n’est que mon avis. Cela fait 11 ans que je suis malade et j'ai moins de mal à l’affirmer qu’une personne qui vient découvrir sa maladie. Il faut laisser chacun cheminer. 

Pourquoi le handicap fait-il peur aux dirigeants ?

Il fait peur aux dirigeants qui ne connaissent pas le handicap, de la même manière que l’inconnu fait peur à tout le monde. On peut s’imaginer des problèmes sanitaires ou de productivité alors qu’au fond c’est le sujet même du handicap qu’on ne connait pas. Qui ne me connait que par mon titre ne peut pas supposer que je suis handicapé. Je suis handicapé, et alors ?

Comment effacer cette barrière ?

Il faut que des gens connus sortent du bois. A titre personnel, ce qui m’a fait réaliser qu’il y avait de l’espoir, c’est la liste Wikipedia des célébrités qui ont la maladie de Crohn ! C'est stupide, mais c’est le pouvoir de la liste. Dans ma maladie, le lien avec le stress est prouvé. Or, et c’est incroyable, personne dans cette liste n’est issu du monde des affaires ! Il faut que ces personnes se manifestent. Elles doivent utiliser la bande passante de leur pouvoir d’influence pour faire avancer les mentalités. 

Au regard de ce témoignage, quelle est votre politique en matière d’insertion des travailleurs en situation de handicap ? 

Il y a un an, comme dans beaucoup d’entreprises, c’était un sujet dont nous parlions peu. Depuis, nous avons vraiment accéléré. Nous avons organisé avec l’association Handiamo une Journée du Handicap en invitant l’équipe de France Handisport de Tennis de Table. Cap emploi, qui a pour mission d'accompagner vers et dans l'emploi les personnes handicapées et leurs employeurs, est également venu. Nous avons aussi organisé des DuoDay en 2022, constitué d’un duo : un collaborateur Royal Canin et une personne en situation de handicap afin de découvrir un métier. Il s’agit notamment de montrer aux collaborateurs que le handicap ne se limite pas au fauteuil roulant et de montrer aux personnes en situation de handicap qu’elles sont les bienvenues chez nous. On a aussi créé un guide du handicap pour que tout le monde dispose du même niveau d'information. 

Quel est le coût d'une politique d'inclusion ambitieuse ?

Bien sûr, il y a le coût initial de l'aménagement de poste quand on parle de handicap, mais l’inclusion, ça ne coûte pas cher. Ça rapporte ! La diversité est un avantage compétitif. Dans mon équipe de direction, il y a une mixité parfaite hommes/femmes, et la moitié de l’équipe n’est pas française. Il n’y a rien de pire que des gens qui se ressemblent dans une équipe car ils vont répéter huit fois la même solution... et peut-être la même erreur. Face à un problème, il y en aura forcément un de nous qui développera une approche différente. 

Pouvez-vous illustrer d'un exemple concret l'apport de cette diversité ?

Ici, l'inflation ne fait pas peur car dans l’équipe nous avons une personne de nationalité libanaise, une autre qui a travaillé en Amérique du Sud et l’autre aux Caraïbes. Elles ont déjà vécu ces situations et savent comment les appréhender. Autre exemple, nous avons embauché récemment une directrice qui était enceinte au moment de l’entretien d’embauche.... Elle n’a pas encore commencé à travailler. Mais le jour où elle nous rejoindra, nous ferons les réunions près de chez elle afin qu’elle reste proche de son bébé. C’est une personne très talentueuse. Elle ira de toute façon dans une entreprise prête à l'accueillir. Alors autant que ce soit chez Royal Canin !