Sobriété énergétique : la quête d’un nouveau Graal

Par Guillaume Mollaret

L’explosion de coûts énergétiques remet en cause les modes de consommations en entreprises et dans les collectivités. Rencontre avec des entrepreneurs qui agissent... Gare au choc thermique !

Une note d’électricité multipliée par six malgré un engagement à réduire sa consommation électrique de 3 à 5% par an... C’est la situation subie par le fabricant de chaussures de travail Jallatte, une entreprise certifiée ISO 14 000 pour son engagement environnemental, installée à Saint-Hippolyte-du-Fort. « Ma facture électrique s’élève à environ un million d’euros par an. Le calcul est simple : c’est deux euros par paire produite. C’est beaucoup trop pour que je puisse titulariser l’équipe de 13 intérimaires dont nous voulions pérenniser les postes », déplore Jean-Marie Calame le PDG d'une entreprise qui s’est fait fort ces dernières années de relocaliser un maximum d'activités dans les Cévennes (Lire page 16) et de compenser au maximum son empreinte carbone (lire encadré).

La situation de cette société n’est pas isolée. S’impose à elle la sobriété énergétique mais une fois les détecteurs de présence installés dans les ateliers et les minuteries posées sur les compteurs, il n’est pas si simple de réduire significativement sa consommation. 

Pour limiter ces coûts de fonctionnement, de nombreuses sociétés cherchent à s’équiper de panneaux photovoltaïques sur leur toiture. « Il y a encore six mois, il fallait prospecter. Désormais, nous recevons plusieurs demandes de renseignements par semaine », affirme Raphaël Fournier, responsable de l'activité autoconsommation chez VSB énergies nouvelles, dont le siège français se trouve à Nîmes.

Démarche éclairée

Les pionnières, qui ont entamé leur démarche au mitan des années 2010, n’ont pas eu accès à des contrats d’autoconsommation. A l’époque, la solution n’était pas proposée. « Quand nous avons installé nos panneaux photovoltaïques en 2015, la solution n’était pas autorisée », se remémore Thomas Gleyse, codirigeant de deux Weldom et d’un Intersport à Uzès et Beaucaire, qui revend donc l’électricité produite par sa toiture au réseau. « Nous sommes engagés sur une période de 15 et 20 ans avec EDF. Le contrat nous rend légèrement bénéficiaires, mais là n’était pas notre calcul. A l’époque, notre démarche était plus environnementale qu’économique. Nous voulions équilibrer les choses en produisant de l’énergie et pas seulement en être consommateur. » Une démarche en quelque sorte militante alors que les choix actuels sont, il faut bien l’avouer, d’abord guidés par une nécessité économique.

L’électrique carbure 

Côté carburant, les entreprises de service sont tiraillées entre la nécessité de déployer leur force commerciale et technique sur le terrain et le devoir de se montrer économes en carburant. C’est ainsi que le groupe Bastide Médical, qui compte un parc auto de quelque 1 300 voitures, vient de créer un poste de formateur en écoconduite. 

« Qu’ils soient techniciens, commerciaux, poseurs, ou infirmiers, tous sont hyperspécialisés dans leur métier. Or, personne n’est jamais vraiment formé aux bonnes pratiques à adopter au volant alors que cela représente parfois 70% de leur temps de travail », détaille Gilles Penuela, qui occupe ce poste de formateur chez Bastide Médical. Des formations qu’il faudra aussi peu à peu adapter à la conduite de voitures électrifiées, car l’optimisation des consommations ne s’envisage pas de la même manière sur ce type de véhicules.

Electrification des flottes

Si les entreprises disposant d’une flotte de plus de 100 véhicules, à l’instar de Bastide Médical, ont l’obligation de remplacer progressivement leur flotte par une solution électrifiée, certaines sociétés, plus petites, ont fait le choix de s’équiper de bornes électriques bidirectionnelles - qui permettent de charger la batterie mais aussi de la décharger pour alimenter le réseau hors des heures de chargement - dans le cadre du programme Flexitanie soutenu notamment par la Région, EDF, l'Ademe et la Cleantech Vallée. 

Ainsi, D&S Groupe, une entreprise spécialisée dans la maîtrise des risques nucléaires et l’ingénierie installée à Bagnols-sur-Cèze, s’est lancé dans l’expérimentation voilà deux ans. Une initiative in fine concluante. « L’idée de nourrir le réseau à partir d’une voiture est séduisante. Le premier enseignement, c’est qu’il n’y a pas d’impact négatif à l’usage. Notre utilitaire est bien chargé quand il démarre le matin même si ses capacités ont été exploitées dans la nuit. Le côté négatif, c’est que seul Nissan est aujourd’hui partenaire de cette expérience et que l’on n’a donc pas le choix du véhicule », explique Julien Feja, le président de D&S Groupe. 

Là encore, comme toute démarche pionnière en la matière, le choix est d’abord militant puisque le bénéfice financier est symbolique, de l’ordre de 200 à 300 euros sur l’année. « Il ne faut pas prendre les bornes bidirectionnelles ou vehicle-to-grid comme une source possible de revenus, sourit Julien Feja. Il faut l’intégrer au coût total d’exploitation du véhicule, comme on le fait pour n’importe quel autre qui roule au diesel. » Ce coût économique est contrebalancé par un bénéfice aussi immatériel qu'inquantifiable lié à l’image et à la communication faite par l'entreprise auprès de ses clients et prospects...

Allô à l'eau ? 

A Vauvert, sans que l’on sache pourquoi, l'entreprise St Mamet (fruits en conserve) n’aime pas parler du réseau d’irrigation qu’elle a mis en place voilà déjà longtemps autour de l’usine. Sur des terres de pâtures entourant son site, l'industriel, désormais propriété du groupement Les Mousquetaires (qui chapeaute notamment l’enseigne Intermarché), rend à la terre, sur plusieurs dizaines d’hectares, ses «eaux de process». Autrement dit les eaux servant au lavage des fruits. Les moutons paissant alentour leur en sont reconnaissants...

Autre initiative dans le secteur commercial, le besoin d’économie en eau concerne un métier que l’on soupçonne peu d’être gourmand en la matière : les opticiens ! En effet, leur métier ne consiste pas seulement à vendre des lunettes mais aussi à assembler la monture et le verre... qu’il faut tailler. « Il faut compter 24 litres d’eau par paire de lunettes soit environ 340 litres par jour », calcule Eric Plat, le PDG de la coopérative Atol qui compte une douzaine d’entrepreneurs coopérateurs dans le Gard. Pour diviser sa consommation par 100, l’enseigne a fait concevoir un bac de réusage qu’elle déploiera peu à peu en 2023 auprès de ses adhérents. D’une consommation équivalente à trois bains par jour, elle passera au tiers d’une chasse d’eau !

Facture électrique : les collectivités dans le jus

Ici, c’est une piscine de Nîmes Métropole dont on abaisse la température avec un délégataire de service public qui menace de fermer ses établissements face aux charges énergétiques. Là, c’est la commune de Moulézan qui voit sa facture s’envoler à 13 000 euros pour un budget communal de 150 000 euros. Là encore, c’est la Ville de Nîmes qui annonce 414% de hausse sur le coût du gaz... « Globalement, le budget total prévisionnel des consommations d’énergie des bâtiments publics passerait de 6,3 M€ en 2022 à 9,6 M€ en 2023 puis à une hypothèse de 22,3 M€ en 2024, soit +230% d’augmentation », explique la capitale gardoise dans un communiqué.

Ingéniosité

Alors la Ville se retrousse les manches. Son objectif affiché, malgré les contraintes, est de parvenir à une économie prévisionnelle d’1,3 M€ sur l’année 2023, soit 10,6 % de ses dépenses estimées à un total de 12,5 M€. Améliorer l’efficacité énergétique des bâtiments, éteindre l’éclairage public dans certaines zones, l’abaisser dans d’autres et développer les bonnes pratiques en interne, les pistes sont nombreuses mais la marge de manœuvre bien mince... Aussi, les collectivités sont invitées à l’ingéniosité. 

Lors des Etats Généraux de l’éclairage public, organisés fin janvier par Territoire d’Energie 30, le Syndicat Mixte d’Électrification du Gard, nombre de communes ont affiché leur volonté de convertir leur éclairage public en LED (ce qui permet de jouer sur l'intensité lumineuse) alors qu’elles sont aujourd’hui pour certaines contraintes à éteindre leur éclairage nocturne, ce qui n’est pas toujours bien compris ou accepté par la population. « En passant aux LED, les communes peuvent faire entre 70 % et 80 % d’économies », rappelle Roland Canayer, le président de Territoire d’Énergie Gard, une société d’économie mixte qui propose une ingénierie complète aux services des communes afin que chacune puisse choisir les solutions énergétiques les plus adaptées à ses besoins en matière de consommation énergétique, d’équipements, voire de mobilité électrique ou de production d’énergie renouvelable.

Lors de riches échanges, les élus et techniciens à la en tribune ont notamment vanté les bienfaits de l’extinction de l’éclairage sur la biodiversité, dans le Parc national des Cévennes comme en plaine. Quand la contrainte économique permet de rejoindre une préoccupation écologique qui passait jusqu’ici au second plan...